Le 30 mars 2011, le ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, annonçait que les étudiants devraient payer davantage pour leurs études universitaires, et que le financement des universités avait besoin d’une contribution plus élevée de la part des étudiants. À la suite de cette annonce, les associations étudiantes du Québec ont décidé de parler au nom de l’ensemble des étudiants, comme si, par pure magie, tous les étudiants avaient la même opinion.
Des étudiants pour la hausse? Le commencement.
C’est dans cet esprit qu’en novembre 2011, Marc Antoine Morin et moi avons décidé de nous engager dans un débat public au sujet des frais de scolarité. Il était temps que toutes les voix des étudiants se fassent entendre. Nous ne pouvions encore laisser aux associations étudiantes le mandat de parler au nom de tous les étudiants. Il fallait réagir. Alors que les associations étudiantes et le mouvement syndical étudiant se préparaient à une manifestation étudiante contre la hausse des frais de scolarité, monsieur Morin et moi-même avons décidé de créer une page Facebook qui incitait les étudiants à manifester pour la hausse des frais.
Au quotidien, personne n’aime voir ses dépenses augmenter et c’est logique. Cependant, les dépenses réelles qui augmentent sans arrêt sont celles des contribuables québécois. Selon l’Institut Économique de Montréal, « la dette du Québec s’élève à plus de 50 000 dollars par travailleur, elle augmente de plus de 20 millions par jour, une dette qui place le Québec au 5e rang des nations les plus endettées au monde ». En fin de compte, ce sont les contribuables québécois qui sont victimes de cette dette, créée par l’incapacité d’un gouvernement de contrôler ses dépenses. Le ministère de l’Éducation du Québec, créé en 1964, gère un budget annuel de 15,5 milliards de dollars, soit l’équivalent de 25 pour cent des dépenses pour les programmes du gouvernement québécois. La part des contribuables est très élevée dans l’éducation des étudiants québécois, soit plus que 60 pour cent.
Pourquoi indexer et hausser les frais de scolarité?
Les étudiants contre la hausse affirment que les universités ne sont pas sous-financées. Selon l’Institut de recherches et d’informations socio-économiques « En combinant ce que le gouvernement, les étudiants et le privé investissent dans les universités, on obtient un total de 29 242 $ de dépenses par étudiant au Québec, comparativement à 26 383 $ pour l’Ontario et à 28 735 $ pour le reste du Canada. En regard des pays de l’OCDE , seuls les États-Unis et la Corée du Sud devancent le Québec au poste de la dépense globale par étudiant ». Mais la différence entre les dépenses globales par étudiant s’explique en partie par les différences structurelles entre les systèmes d’enseignement, dont celles liées à la composition de l’effectif étudiant par cycle et par domaine d’études. Ainsi, le fait que les universités du Québec aient une proportion plus élevée d’étudiants inscrits dans les secteurs disciplinaires les plus coûteux et aux cycles d’études universitaires supérieurs explique en partie leur dépense par étudiant plus élevée qu’en Ontario. De plus, le personnel de soutien est très fortement syndiqué dans les universités du Québec.
Les étudiants contre la hausse affirment aussi que le gouvernement se désengage financièrement de l’éducation supérieure. Ce n’est pas le cas. Le gouvernement entend augmenter son financement de 43 0 millions de dollars d’ici 2015 pour atteindre un financement total de 850 millions : le reste sera complété par les étudiants et par des entreprises privées.
Les étudiants qui sont en faveur de la hausse ne sont pas convaincus par le point de vue ni par les arguments des associations contre la hausse pour les raisons suivantes:
Premièrement, les frais de scolarité au Québec sont en moyenne de 2 415 $, soit 47 pour cent de ce que l’étudiant moyen canadien doit verser et 38 pour cent de ce que l’étudiant moyen paie en Ontario selon les données de Statistique Canada. Les étudiants québécois bénéficient également des frais de scolarité les plus bas au pays, suivis de Terre-Neuve (2 624 $), tandis que la prochaine province sur la liste se situe déjà à 3 588 $ (Manitoba). Selon le Ministre Bachand, même après la hausse de 1 625 $, un étudiant paiera en 2016 le même montant qu’un étudiant payait en 1968, ce chiffre tenant compte de l’inflation. Les frais de scolarité augmentent déjà en moyenne de 150 $ par année au Canada. Même avec la hausse de 325 $ par an, en supposant que la hausse de 150 $ se maintienne dans le reste du pays, les frais de scolarité québécois atteindraient dans cinq ans 4 040 $, nous plaçant au deuxième rang au Canada, sur le plan de l’abordabilité, après Terre-Neuve. Même si nous nous fions aux estimations les plus pessimistes, qui prévoient plutôt que les frais de scolarité atteindront 4 700 $ dans cinq ans, le Québec demeurerait l’une des provinces où l’éducation est la moins onéreuse au pays, en troisième place.
Deuxièmement, les données de Statistique Canada indiquent aussi qu’un étudiant détenant un baccalauréat gagnera en moyenne 21 627 $ de plus par an que celui qui n’est pas titulaire d’un diplôme universitaire, soit 756 945 $ en supposant une vie active de 35 ans. Ce seul revenu additionnel permet à un étudiant de rembourser 13 fois le coût total de la hausse des frais de scolarité sur la durée d’un baccalauréat en un an de travail, sans compter que les titulaires d’un baccalauréat ont un taux d’emploi supérieur de cinq pour cent à ceux qui n’ont qu’un diplôme d’études secondaires. Les avantages financiers que procure l’obtention d’un diplôme d’études postsecondaires sont donc majeurs en comparaison de la pénalité financière qui découle de la hausse des frais de scolarité.
Troisièmement, le nombre d’étudiants inscrits aux universités québécoises a augmenté en moyenne de 1 140 étudiants par an au cours des cinq dernières années, bien que les frais de scolarité réels aient augmenté de 150 $ par an en moyenne selon les données de Statistique Canada. La corrélation entre la hausse des frais de scolarité et la baisse de la fréquentation universitaire n’est donc pas présente ici. Le taux de fréquentation de l’université par les personnes de 15 à 64 ans est de 4,9 pour cent au Québec et également de 4,9 pour cent en Ontario, bien que les frais de scolarité soient 263 pour cent plus élevés en Ontario. Encore une fois, la corrélation entre l’accessibilité aux études et les frais de scolarité n’est pas observée. Dans la même veine, une étude de 2004 de l’Institut Économique de Montréal conclut que « les données disponibles pour les provinces canadiennes n’indiquent en effet aucune relation directe entre le niveau des frais de scolarité et l’accessibilité aux études universitaires ». Il n’est donc pas réaliste d’affirmer que la hausse des frais de scolarité frappera durement l’accessibilité aux études postsecondaires.
Quatrièmement, les données de Statistique Canada indiquent que les études étaient subventionnées au Québec, en 2009, à 59 pour cent à même les fonds provinciaux et à 10,2 pour cent à même les fonds fédéraux. En Ontario, en comparaison, la contribution du provincial est de 37,3 pour cent et celle du fédéral, de neuf pour cent. Il est donc faux de dire que le gouvernement ne contribue pas déjà au financement des universités québécoises.
Cinquièmement, les dépenses administratives représentent 18 pour cent des dépenses des universités et collèges québécois, par rapport à 20 pour cent pour la moyenne canadienne selon les données de Statistique Canada. Il est donc faux de dire que nos universités souffrent d’une mauvaise gestion chronique qui gonflerait la note des étudiants. Les universités et collèges québécois investissent 49,6 pour cent de leurs dépenses directement dans l’éducation, montant légèrement supérieur à la moyenne canadienne de 47,9 pour cent. Il est donc faux de dire que les fonds affectés au secteur seraient détournés et utilisés à des fins autres que celle de subvenir directement aux besoins éducatifs des étudiants.
Solutions des carrés rouges de la CLASSE
Les solutions et demandes présentées par la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante), une association étudiante ayant plusieurs liens avec les syndicats du Québec, ne sont pas réalistes compte tenu du contexte économique. En outre, ce qu’elle propose aurait des conséquences néfastes pour l’éducation postsecondaire québécoise.
La CLASSE demandait non seulement le gel des frais de scolarité, mais également une éducation gratuite pour tous les étudiants d’université. Pour combler le sous-financement des universités québécoises, cette association économiquement incompétente demandait le 3 mai 2012 que les fonds de recherche servent à financer le gel. Elle demandait également l’interdiction de la publicité faite par les universités, ce qui donnerait lieu à une épargne permettant de consacrer 18 millions supplémentaires aux 142 millions affectés aux fonds de recherche pour financer le gel. Le ridicule ne se termine pas encore. La CLASSE souhaite également un gel des salaires et de l’embauche des cadres et du rectorat, ainsi qu’un moratoire sur la construction et l’agrandissement de campus satellites.
Si la solution proposée par la CLASSE semble être logique pour ses membres, il en est tout autrement pour la réalité économique du Québec. Ce que propose la CLASSE ne s’inscrit pas dans un esprit de concurrence mondiale. Étudier dans un environnement qui n’est pas concurrentiel risquerait fortement de provoquer une baisse de la valeur du diplôme. Les fonds de recherche doivent servir à attirer de meilleurs professeurs et chercheurs, pas à rendre nos étudiants moins responsables de la dette contractée pour leurs études universitaires.
Le modèle américain d’éducation postsecondaire ne serait certainement pas souhaité ni souhaitable pour la CLASSE. Dans la société utopique de cette association étudiante, l’Ivy League n’existerait probablement pas puisqu’elle traduit l’idée de commercialisation de l’éducation selon nos syndicalistes en herbe. La CLASSE considère l’éducation comme étant un bien public et, animée par ce raisonnement, elle croit fermement que les étudiants devraient tous avoir la chance de fréquenter l’université. Le problème de ce raisonnement c’est que, malheureusement, pas tout le monde peut ou veut aller à l’université. Par exemple, pour ceux qui désirent entrer en médecine, il y a des examens d’entrée, des tests et des conditions à remplir avant de commencer ledit programme. Une université ne peut accueillir indéfiniment des étudiants, car ses espaces pour les cours sont limités.
Comment la CLASSE compte-t-elle instaurer un moratoire sur la construction de nouveaux bâtiments scolaires, si d’une part, elle prône l’universalité, et que de l’autre, elle ne veut pas agrandir les espaces disponibles à son éducation universelle? Le non-sens de cette association frise le ridicule. Le seul moyen pour que l’agrandissement des espaces d’enseignement ne soit pas nécessaire, serait de limiter l’entrée aux études universitaires. Comment la CLASSE peut-elle prôner la gratuité, et ignorer les frais liés aux infrastructures nécessaires à assurer leur utopie sociale? La seule solution serait de limiter l’entrée par des critères de sélection plus stricts, par exemple, la qualité du dossier scolaire, le contingentement de tous les programmes en fonction des besoins de la société et une assurance que l’étudiant aura un dossier étudiant impeccable. Toutes ces mesures nous mèneraient à une chose : l’éducation gratuite et universelle seulement à l’élite intellectuelle du Québec. Seule la crème de la crème devrait pouvoir s’offrir la gratuité scolaire, car après tout, les ressources sont limitées. La CLASSE ne peut, dans une réalité objective, offrir la gratuité scolaire aux étudiants d’université sans compromettre l’accessibilité des universités québécoises.
On en vient donc à une impasse : soit l’on contribue un peu plus, pour permettre une redistribution du tiers de la hausse aux étudiants les moins fortunés, soit l’on se dirige vers une société élitiste où seuls les étudiants les plus doués auront la chance d’obtenir un diplôme universitaire. Je préfère une bonification des prêts et bourses, un contingentement naturel de certains programmes, une plus grande responsabilité de la part des étudiants dans le paiement de leurs études et j’oublie l’idée de la gratuité scolaire. Après tout, on n’a jamais rien pour rien—quelqu’un doit payer la facture et les contribuables québécois sont déjà les plus imposés en Amérique du Nord. Laissons-les profiter du fruit de leur travail.
La grève
Depuis le début du débat des frais de scolarité, de nombreux étudiants manifestent dans les rues contre la décision de Line Beauchamp, autrefois ministre de l’Éducation, d’augmenter les frais de scolarité de 325 $ par année entre 2012 et 2017. Les étudiants opposés à la hausse affichent fièrement le carré rouge en signe de protestation. Les étudiants pour la hausse et contre la grève se sont dotés d’un carré vert, signe que l’éducation doit aller de l’avant. Bien que ceux-ci croient légitime de manifester dans les rues, certains remettent en question la bonne volonté des associations étudiantes.
Lors de la grève étudiante, la population québécoise a assisté à des manifestations massives se terminant souvent dans la violence. Lors des protestations, de nombreux manifestants ont bloqué l’accès au lieu de travail à bon nombre de travailleurs, ils ont bloqué des ponts qui relient l’île de Montréal à ses environs en pleine heure de pointe. Ils ont également bloqué l’accès à une garderie ne laissant pas passer les parents qui voulaient aller chercher leurs enfants. Ils ont également brûlé un pantin grandeur nature devant une garderie. Lors de la manifestation de Pâques, l’une des croix rouges géantes est tombée sur une passante et l’a blessée. Il y a eu des alertes à la bombe à Alma, des briques sur les rails de métro à Montréal, un groupe Facebook prônant la pendaison de Jean-François Morasse (étudiant poursuivant en justice Gabriel Nadeau-Dubois, le co-porteparole de la CLASSE), des actes de vandalisme à l’Université de Montréal, entre autres.
Ceux qui étaient en faveur de la hausse et qui s’opposaient à la grève étaient ciblés par les manifestants. Cédric Legros, étudiant de Sherbrooke, a fièrement protesté à Sherbrooke au milieu d’une manifestation rouge. Il était habillé en vert des pieds à la tête. La police a dû le faire sortir de la manifestation pour le protéger. L’Institut Économique de Montréal, qui préconise la hausse des frais de scolarité et une bonification des prêts et bourses, s’est fait saccager en plein jour par une quarantaine d’étudiants. Jacques Villeneuve, pilote automobile québécois et champion de Formule 1, a même reçu des menaces de mort suivant sa déclaration contre les manifestations étudiantes qui avaient lieu lors du Grand Prix de Montréal.
La revanche des carrés verts
En plus de la violence qui régnait, la grève avait un impact important sur les étudiants. Les manifestants et leurs piquets de grève empêchaient l’accès à leurs cours aux étudiants qui étaient contre la grève et qui voulaient assister aux cours. La perte de la session d’hiver 2012 en a été le résultat fâcheux. Quelques étudiants ont obtenu des injonctions qui, d’une part, ont permis aux étudiants d’avoir accès à leurs cours, mais d’autre part, ont exacerbé un conflit entre les étudiants. Conflit qui s’est traduit par un refus d’obéir à une décision injuste qui brimait les libertés individuelles.
Selon l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. Selon l’article 49, une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. C’est bien dans cet esprit que de nombreux étudiants ont poursuivi en justice leur établissement d’enseignement afin d’avoir accès à leurs cours.
Le 30 août 2012, des étudiants déposaient une demande de recours collectif contre 25 établissements d’enseignement et contre le procureur général du Québec. Kim Laganière et Mihai Adrian Draghici, étudiants au Collège de Montmorency et à l’Université Laval, respectivement, ont retenu les services de Michel Savonitto pour représenter les étudiants ayant subi des dommages à la suite du défaut par les établissements d’enseignement et par l’État d’avoir dispensé les cours. Le recours proposé reproche aux défendeurs d’avoir agi avec négligence, insouciance et incurie en ne prenant pas les mesures nécessaires pour que les cours de la session d’hiver 2012 soient donnés. Laurent Proulx, premier étudiant québécois à avoir obtenu une injonction, et Marc-Olivier Fortin, tous deux représentants de la Fondation 1625 (un organisme sans but lucratif créé en vue de recueillir des fonds pour soutenir les étudiants qui ont été victimes de la grève étudiante à la session d’hiver 2012), ont soutenu le recours collectif.
Il s’agit maintenant de savoir si c’est le concept de la responsabilisation ou celui de l’universalité qui dirigera les décisions dans l’éducation postsecondaire québécoise. Au final, c’est celui qui paiera toujours qui n’a aucun contrôle: le contribuable criblé de dettes.
Arielle Grenier est étudiante en troisième année en sciences politiques et économie à l’Université de Montréal. Elle est fondatrice du Mouvement des Étudiants Socialement Responsables du Québec (MÉSRQ).